La ville baignait dans une épaisse torpeur
où chacun fuyait le destin au ralenti.
La poitrine haute, gorgée de soleil,
les filles écumaient dans leur bikini.
Et leurs yeux mis clos pailletés de sel
luisaient dans un écrin de ciel et d’envie.
Enivrée de chaleur, ma tête se penche
et vient cogner contre la fenêtre.
L’alcool est fort le long des tempes;
j’hésite encore : être ou ne pas être ?
Peu à peu je me résigne et cède à la paresse.
Je tire sur ma résine, j’ai soif… tequila fraîche
À travers les persiennes, tout semble dilaté
et la moiteur phocéenne de ton corps alité me perle dans le dos.
Pivotant sur moi-même, je te retrouve là ou je t’ai laissée,
drapée dans mes « je t’aime » anonymes et glacés.
À fleur de peau. Les seuls véritables.
J’aligne sur la table tels des dominos les coupures multicolores
qui teintent les étreintes d’or.
Ajustant ton corsage, empoignant ton dû,
tu laisses dans ton sillage l’odeur bien connue du devoir accompli.
Ce parfum délétère qui respire l’ennui.
Tout cela m’indiffère. Mes jours sont comptés, reste les nuits.
9 h 00 du soir sur le trottoir,
je chausse mes lunettes noires
pour briser le silence qui sature les miroirs.
En ces temps étranges, tout le monde rêve d’être star,
le cynisme froid distord les regards
des clones étoilés, enfants du hasard.
Il n’y a guère plus que les berlines pour incarner l’élégance.
Les fastes du speed. L’attrait du vide. L’esthétique insolence.
Cuir sur la banquette, cuir sur les épaules,
nos désirs se froissent comme de la tôle.
J’entrouvre la portière sur une rivière de diamants
jaillissant tout autour de ton cou délicat.
Et ta main solitaire fouille la boîte à gants
recherchant nos passeports pour de faux nirvanas.
Le paradis tient dans un mouchoir de poche.
Il gisait là, offert, intact : un sachet ventru saigné d’une encoche.
Première prise de contact entre la paille et nos cerveaux.
La C nous remet sur les rails et nous sniffons des cheminots.
Ma pin-up se tortille en me gueulant « moteur » !
Le cœur défoncé suspendu à mon siège,
je taquine du pied l’accélérateur.
Nous déboulons en fumée le Boulevard des Neiges.
La Cadillac fuse dans la nuit gazoline.
Fixant dans mon rétro le dernier coin d’azur,
je revois défiler ma nostalgie du futur,
quand les derniers poètes finiront dans la sciure.
Gisant dans leur hémoglobine.
Mais ce soir la corniche vaut bien le Sunset.
Nos egos détrempés aspirent à la tempête.
Plus qu’un dernier virage à négocier…
Mais les poètes ne négocient pas !
Ils se moquent de la courbe, méprisent la nuance, ne font pas d’arrangements.
Et tandis que mon bolide plongeait dans le néant,
juste avant de toucher les abîmes.
Dans un torrent de haine et de sang,
le showbiz nous sortait par les narines.
© Emmanuel Dubelman 2004-2016 [première année de présentation au public]. Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci autre que la consultation individuelle et privée est interdite.
Photo : On the road, Montego Bay, Jamaïque, 09/2012 © Emmanuel Dubelman
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